Les sanatoriums d’altitude entre confort et hygiène
Par Philippe Grandvoinnet
Auteur d’une thèse de doctorat en histoire de l’architecture sur les sanatoriums français, il est architecte et urbaniste de l’État (élève) au Ministère de la culture et de la communication.
Pilier du traitement antituberculeux, la cure d’air s’appuie sur des conditions climatiques favorables propres aux zones d’altitude les mieux exposées : insolation maximale, faible hygrométrie, absence de pollution. Si l’objectif des médecins était d’offrir aux malades les conditions les plus propices à leur guérison, celui des architectes était de garantir la pérennité de bâtiments soumis aux rigueurs du climats.
La construction, enjeu de confort
Au sanatorium Martel de Janville, conçu par Henry Jacques Le Même et Pol Abraham, la structure en béton-armé fut ainsi enveloppée dans un “chemisage” en maçonnerie légère pour la protéger des fortes variations de température. Certains dispositifs constructifs pouvaient également améliorer le confort d’usage : contrairement à la technique de construction traditionnelle en hourdis, les dalles nervurées légères mises en oeuvre au Plateau d’Assy permettaient, en raison de leur faible inertie thermique, d’élever rapidement la température des chambres lors de la mise en route du chauffage au lever et au coucher des malades.
Dans le dernier projet de sanatorium élaboré par Le Même et Abraham, à Zaghouan (Tunisie, 1948, non réalisé), c’est au contraire la forte inertie des maçonneries qui devait permettre d’écrêter les pics de températures du désert tunisien : les malades, placés dans une véritable coque régulatrice traversée de conduits ventilés, auraient joui d’un certain confort thermique reposant sur la température des parois plus que sur celle de l’air. Autre pilier de la cure, le repos était garanti aux malades par des dispositifs techniques visant à insonoriser les bâtiments : blocs antivibratiles pour asseoir les équipements mécaniques, manchons en caoutchouc pour le raccordement des canalisations, carreaux d’asphalte comprimé atténuant les bruits de roulement dans les couloirs, feuilles de liège aggloméré pour dissocier les cloisons de la structure et limiter la propagation des bruits.
Le second oeuvre au service de l’hygiène
L’asepsie des sanatoriums reposait autant sur les protocoles de désinfection que sur les dispositifs destinés à en faciliter l’entretien : matériaux résistants, surfaces lisses, absence de joints et d’interstices étaient les renforts indispensables des médecins dans leur lutte quotidienne contre les bacilles.
Mélange d’huile de lin oxydée et de minéraux, le linoléum était plébiscité dans les établissements de cure; son coût était toutefois prohibitif et, à Martel de Janville par exemple, il sera réservé au seul service médical, voué à la plus parfaite asepsie. Dans les chambres, tout devait être absolument lisse et lavable : “parquet mosaïque” à lamelles de bois scellées au mortier (Martel), papier peint ripoliné “Salubra” pour les murs (Guébriant), mobilier en tôle laquée (conçus par Jean Prouvé à Martel), objets du quotidien en verre ou en opaline.
L’emploi de matériaux industrialisés ne signifiait pas pour autant de renoncer à toute ambition décorative : prolongeant le langage plastique de ses chalets de Mégève, Le Même put animer de motifs géométriques les sols en grès cérame des espaces collectifs. À Martel de Janville, les architectes s’inspirèrent des “parquets tapis” vus en 1929 au sanatorium Altein d’Arosa (Suisse) pour dessiner en carreaux de grès blanc, rouge et noir, de véritables tapis hygiéniques et durables. Dans tous les bâtiments, des plinthes à gorge moulées en grès assuraient le raccord parfait, sans joint vif, entre ces surfaces.
Couleur et bien-être
Cette exigence d’hygiène aurait été synonyme d’austérité si les médecins et les architectes n’avaient eu le souci permanent du bien-être des malades. Cela se traduisait par exemple dans le choix de couleurs considérées pour leur action sur le moral des malades comme de véritables adjuvants à la cure.
A Guébriant, chaque étage était ainsi peint d’une couleur distincte (rose, gris clair et bleu pâle) tandis que les menuiseries de teinte vermillon vibraient intensément sous le pâle soleil d’hiver. Pour contraster avec le blanc de la neige et le vert-bleu des sapins, les architectes firent appliquer sur leurs sanatoriums des badigeons aux tonalités chaudes (“jaune bouton d’or” au Roc-des-Fiz, “terre cuite claire” à Martel et “rose chair” à Guébriant), composant un ensemble chromatique à l’échelle de la station.
Parce que la composante ultraviolette du rayonnement solaire assurait la destruction des bacilles, la profusion de lumière dans les sanatoriums répondait au même impératif d’hygiène. À Guébriant, la sous-face des linteaux et des auvents des galeries de cure étaient peints en “blanc pur” pour refléter “le plus de lumière possible”.
L’action de cette lumière diffuse était complétée par l’insolation directe des parois des chambres au travers des portes-fenêtres et des impostes vitrées des cures. Reposant sur l’action exclusive du soleil, ce dispositif de désinfection méticuleuse des chambres est à la mesure de la tâche confiée aux architectes dans les sanatoriums : faire des bâtiments de bons instruments de cure, capables d’assurer sans effort – et pour ainsi dire automatiquement – l’asepsie permanente de tous les espaces.