Le Palais du Bois français ou la forêt recomposée
Par Franck Delorme
Architecte de formation, historien de l’architecture, attaché de conservation au centre d’archives d’architecture du XXe siècle de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Chargé du classement des archives d’Henry Jacques Le Même de 2002 à 2004, auteur, en 2005, du répertoire des archives accompagné d’une introduction de François Loyer et de textes critiques de l’auteur.
Le pavillon du Bois français, réalisé à l’occasion de l’Exposition internationale de Paris en 1937, est certainement une des réalisations d’Henry Jacques Le Même associant le plus étroitement les aspirations modernes de l’architecte (par les volumes puristes) et les données du programme (par la mise en valeur d’un matériau), tout en n’oubliant pas les références à l’architecture classique (par la symétrie et la monumentalité). Car l’enjeu principal du programme donné à l’architecte, en même temps que l’idée directrice du projet, est de conférer au bâtiment un statut d’édifice public, malgré son caractère éphémère, mais également de lui donner une certaine monumentalité afin de porter le bois à l’égal de la pierre de taille. “D’ordinaire on ne construit guère en bois que des chalets ou des baraques. Palais en bois : il y a presque une contradiction dans les termes.”
Le pavillon du Bois français est ancré dans un contexte esthétique contemporain où les exemples d’édifices à l’aspect similaire ne manquent pas. À une échelle plus réduite, le bâtiment se rapproche des formules illustrées par le musée permanent des Colonies de l’Exposition coloniale de 1931 édifié à l’orée du Bois de Vincennes, porte Dorée, par Léon Jaussely et Albert Laprade.
Bien entendu, il est en correspondance immédiate avec la nouvelle physionomie du Palais de Chaillot (Jacques Carlu, Louis-Hippolyte Boileau et Léon Azéma, architectes). De même, la scansion de ses hautes ouvertures est aussi le modeste écho de la colonnade du Palais de Tokyo (André Aubert, Marcel Dastugue, Jean-Claude Dondel et Paul Viard, architectes) qui lui fait face sur la rive droite de la Seine.
Le Même remporte le concours organisé en novembre 1936 par le Comité des Eaux et Forêts pour l’édification du Palais du Bois français ; il est choisi par le jury le 15 janvier 1937 parmi une soixantaine d’architectes. Quel autre architecte pouvait mieux remplir la mission que celui qui se déclarait en 1937
“déjà préparé à cette épreuve par de nombreux travaux, […] . Habitant Megève depuis douze ans, je me spécialisais dans l’emploi du bois en architecture. Ceci, d’ailleurs sans faire de pastiche, ni de reconstitution d’ancien, mais en cherchant, autant que possible à concilier avec le goût moderne, certains aspects traditionnels nés de la technique” ?
La production haut-savoyarde de l’architecte est d’ailleurs exposée sur le mur de la salle de présentation des maquettes sous la forme de photographies de certaines réalisations situées à Megève (bar Le Mauvais Pas, chalet L’Igloo, chalet de la princesse de Bourbon, etc.) comme démonstrations des emplois possibles du bois à l’extérieur comme à l’intérieur.
Le bâtiment conçu par Le Même s’ouvre sur le quai d’Orsay par une porte d’entrée monumentale percée dans un avant-corps central pris entre deux volumes beaucoup plus bas. Le plan d’ensemble du pavillon prend la forme d’un T. Une fois franchie la haute porte, un vestibule ample donne accès à une grande salle de conférences et de fêtes disposée parallèlement à la Seine sur laquelle s’ouvrent les hautes et étroites fenêtres donnant accès à un balcon en porte-à-faux, au dessus du quai bas et de la Seine. Le programme est simple : deux grands espaces de réceptions étroitement associés ; les espaces d’exposition proprement dits étant placés latéralement ou dans le soubassement auquel on accède par une double volée d’escalier se développant de part et d’autre du vestibule.
La circulation à l’intérieur du pavillon se réfère à une triple déambulation : déambulation à travers une forêt au sens physique du terme, forêt des colonnes qui sont comme les troncs des arbres supportant un plafond qui diffuse une lumière comme les ramures filtrent les rayons solaires, déambulation dans une forêt primitive évoquée par les peintures allégoriques de Decaris, et déambulation dans une forêt reconstituée par les essences différentes de bois et leur mise en oeuvre sous forme de motifs géométriques divers.
Comme dans les autres édifices de l’exposition, la sculpture n’est pas absente. Si, au Palais de Chaillot, de nombreuses statues ponctuent l’architecture, si le Palais de Tokyo reçoit le bas relief de Janniot, le Palais du Bois est entièrement recouvert d’une décoration sculptée dans le matériau qu’il doit promouvoir. Le bois est pris ici comme archétype de l’objet de nature (selon la définition qu’en fait Gaston Bachelard) dont il s’agit de révéler le contenu philosophique en tentant d’en capter tout l’imaginaire. En effet, quel meilleur matériau que le bois lui-même pour en faire la promotion et pour en démontrer toutes les possibilités techniques, constructives ou décoratives ? Bien sûr, le bois ne permet pas la sculpture en ronde-bosse sauf à utiliser des troncs d’arbres massifs bien rares dans les forêts cultivées. Délaissant l’aspect quelque peu ennuyeux et ordinaire du matériau comme élément structurel en concentrant le travail de création sur l’épiderme, l’emploi systématique qui est fait du matériau jusque dans la décoration se rapproche des expériences de Walter Gropius et d’Adolf Meyer au Bauhaus de Weimar, en particulier avec la villa construite à Berlin pour Adolf Sommerfeld en 1922.
Le Même reprendra par la suite les formules employées en 1937 pour l’extérieur du Palais dans bien d’autres projets et à des échelles différentes. Les élévations de l’école primaire de Ronchamp, conçue une année après le pavillon, de la villa Laydernier à Annecy-le-Vieux en 1939, ou encore du chalet La Cordée à Megève en 1942, sont recouvertes d’une mosaïque de bois semblable et traitée en losanges, en chevrons, en bâtons, etc. Les compositions géométriques dessinées par Le Même ne sont pas sans analogies avec celles qu’il invente pour les sols en carreaux de grès cérame. Ce travail de composition révèle, selon François Loyer, le fait que :
“L’obsession de la trame, révélation de la texture, est une constante dans son oeuvre“.
Comme dans les chalets et les appartements savoyards, les plafonds ne sont pas oubliés, notamment celui de la grande salle des fêtes du pavillon dont le panneau central est constitué d’un ensemble de dièdres de contreplaqué dissimulant des projecteurs – qui dispensent un éclairage indirect – et jouant le rôle de correcteurs acoustiques.
Pour parfaire l’ensemble, l’architecte fait appel aux artistes qui ont déjà sa faveur à l’époque : le peintre Albert Decaris pour les toiles (La Forêt dans le vestibule, Grandes figures des corporations du bois dans la salle des fêtes et Saint Hubert dans la salle de la vénerie) et qui ornera aussi, entre autres, la chapelle d’un pensionnat à Saint-Martin-sur Arve en 1939 et le porche du chalet de l’Inconnu à Megève en 1948. Le ferronnier Gilbert Poillerat quant à lui créera les luminaires.
On le retrouvera également dans de nombreuses réalisations privées de Le Même, notamment dans la villa Le Château du lac à Tresserve en 1938.
La parentèle du Palais du Bois s’élargit après la guerre avec la descendance directe d’un autre pavillon du Bois. Il s’agit cette fois-ci d’un bâtiment destiné au Centre technique du Bois et installé au Centre technique des travaux publics à Cachan, dans le Val-de-Marne, près de Paris.
Projeté dès 1954 et terminé en 1960, le bâtiment prend place au sein d’un ensemble de pavillons chacun consacré à un matériau dont il doit faire encore la promotion, mais cette fois de façon permanente. Si les premières esquisses de Le Même portent encore tout l’héritage du Palais de 1937, au fur et à mesure de l’avancée des études, la formule va s’épurer car il s’agit de créer un cadre neuf, susceptible de ne pas se démoder et destiné à un tout autre public puisqu’il s’agit des élèves de l’École spéciale des travaux publics.
Malgré la permanence de certains éléments – comme les pilotis trapézoïdaux, le toit plat débordant largement en forme de casquette, les hautes baies étroites – l’aspect constructif l’emporte finalement sur l’aspect décoratif.
Il s’agit de coller étroitement aux préoccupations de l’époque qui sont davantage techniques et orientées vers la recherche de nouvelles structures; recherche dont témoigne au même moment l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles qui s’est donné pour ambition de “Bâtir le monde pour l’homme”. Les ingénieurs auraient-ils détrôné les architectes, et l’industrie les artisans ?