Architecture et territoire alpin : sigle et maisons
Par Françoise Very
Professeur d’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, directrice du laboratoire de recherche Les Métiers de l’Histoire de l’Architecture, édifices-villes-territoires, et responsable du master Édification-grands territoires-villes. Vivant à Morzine, Françoise Very, a publié en 1988 avec Pierre Saddy, savoyard parisien, professeur d'histoire de l'architecture à l’École d'architecture de Paris-Belleville, Henry Jacques Le Même. Architecte à Megève (éd. Mardaga).
Le ski fut au XXe siècle une des causes majeures de la transformation des territoires de montagne. Différents modes de pensée sous-tendaient la création des stations de sports d’hiver, alors qu’à la fin du XIXe siècle les stations balnéaires avaient expérimenté des modes urbains de construction du territoire. Les stations de sports d’hiver vont partir de présupposés très différents, elles ne vont pas vouloir se penser comme “villes” même si le nombre et les modes de vie de leurs habitants en font en pleine saison des organismes urbains ipso facto. Elles préfèrent se nommer “village”.
Quelles sont les qualités propres au “village” qui sont recherchées avec cette appellation ?
Peut-être simplement la proximité des éléments naturels. Proximité tactile par le sport, proximité visuelle vécue de l’intérieur du “village”. Aujourd’hui cette recherche peut être connectée à l’objectif du respect de l’environnement. Nous pouvons y voir une suite des réactions contre l’industrialisation qui, de la fin du XIXe siècle et au début du XXe, entraîna de plus en plus de citadins à rêver de la mer puis de la montagne.
Recherche de la Nature qui change de sens au fil des siècles énoncée par l’histoire des jardins et du paysage.
Cette histoire est peut-être la meilleure entrée pour comprendre les qualités recherchées par l’habitat humain aujourd’hui, recherche qui, conjuguée aux idées du “durable” et du “soutenable”, réoriente l’aménagement du territoire du XXIe siècle. Si le projet de nouvelles infrastructures comme les corridors écologiques et l’idée du territoire comme superposition de couches conceptuelles, sont complexes, ils peuvent être partagés et diffusés grâce aux nouveaux outils numériques telle la cartographie dynamique. Les stratégies territoriales deviennent des enjeux premiers que l’on peut penser, discuter, communiquer.
Dans cette configuration de la pensée du territoire, les stations de sports d’hiver se présentent comme des cas d’études idéaux. En effet cela n’a jamais été le “plein “construit qui était pris en considération comme paramètre premier de l’aménagement, mais le territoire dans ses caractéristiques naturelles, pentes, orientation, etc., paramètres premiers puisque déterminants pour le ski. Simplicité, clarté de l’objectif : le ski, croisé avec un regard attentif pour les caractéristiques ancestrales du lieu qui en font les qualités, le paysage.
C’est ce qui guida en France aussi bien les architectes Pradelle et Chappis après la deuxième guerre mondiale pour la création de Courchevel, que Le Même arrivé à Megève au lendemain de Noël 1925.
Sa carrière est exemplaire, car avec une culture classique du métier d’architecte, il va savoir avec le même talent travailler aux plus petites échelles, ainsi le papier à lettre du Club des sports qui deviendra le “logo” de la station, jusqu’aux plus grandes : choisir les implantations de ses bâtiments dans des paysages naturels sans contrainte de règlements d’urbanisme.
Il nous fait redécouvrir comment la culture classique née à la Renaissance en Italie au XIVe siècle peut répondre aux nouveaux enjeux du XXe. Cette modernité intrinsèque de l’architecture classique est souvent ignorée en France où les processus du projet ne sont pas étudiés spécifiquement.
Alors qu’il suffit de lire ce que disent de leur travail les architectes eux-mêmes. Ainsi dans une lettre à Monsieur Gendron de la Société d’Electrochimie, d’Electrométallurgie et des Aciéries électriques d’Ugine du 11 mars 1944, Le Même écrit “l’élaboration des plans d’une maison ouvrière n’est pas l’étude banale d’une maison, mais la mise au point minutieuse d’un prototype dans lequel un maximum de qualités (économie, commodité, esthétique, etc.) doivent être réunies.”
On croirait lire Le Corbusier qui lui tente, il est vrai beaucoup plus souvent, de nous convaincre sinon de nous expliquer. Ce qui est peut-être le plus difficile à comprendre de l’extérieur du processus du projet, c’est qu’un même architecte puisse aboutir à des résultats si différents.
Une expérience comme la construction du chalet de la Baronne de Rothschild peut nourrir l’invention du chalet du skieur. Chalets qui peuvent avoir moins de 50 m 2 au sol tant ils sont précisément étudiés. Par contre, une maison pour l’architecte et sa famille, bien qu’à Megève, ne doit pas être un chalet, ce n’est pas un programme de loisir. C’est aussi une autre démonstration architecturale où culture classique et vie moderne se conjuguent.
Les programmes, les sites, les clients et les moments historiques sont sans cesse différents et le projet d’architecture répond à ces changements. Aujourd’hui des outils de travail nouveaux permettent de penser le projet à des échelles très différentes de façon explicite et de mieux communiquer la spécificité de ces échelles en jeu. Mais l’architecture d’un Le Même est toujours une vraie leçon.