La genèse du plateau d’Assy
Par Anne Tobé
Formée à la conception et à la mise en oeuvre de projets culturels, Anne Tobé agit dans les domaines de l’éducation, de l’animation et du tourisme. Maire adjoint déléguée à la culture à Passy, guide du patrimoine des pays de Savoie, elle anime également le Centre de recherche et d’étude sur l’histoire d'Assy (CREHA).
Au début du XXe siècle, la mortalité due à la tuberculose diminue partout en Europe. La France détient par contre des records avec 90 000 décès par an. La création de grands centres sanatoriaux s’impose et, malgré la multiplication des oeuvres ou des missions, il faut attendre 1916 et 1919 pour que deux lois fondamentales soient votées : la loi Bourgeois qui institue les dispensaires d’hygiène sociale et de préservation antituberculeuse et la loi Honnorat qui institue les sanatoriums destinés au traitement de la tuberculose. Les départements ont cinq ans pour s’équiper ou passer un accord avec un équipement.
L’aide de la Fondation Rockefeller (1917-1923)
À l’automne 1916, pour accompagner le Comité national de lutte contre la tuberculose, le gouvernement français accepte l’aide de la Commission américaine de préservation contre la tuberculose en France, ou Mission américaine Rockefeller. Parmi ses membres, le Dr Alexandre Bruno, directeur-adjoint. Parmi ses collaborateurs français, les Drs Paul Émile Davy et François Tobé, phtisiologues français déjà très engagés dans la lutte antituberculeuse.
La recherche d’un site
C’est à titre personnel que les Drs Bruno et Davy se mettent à la recherche d’un site qui réponde aux exigences de la loi de 1919, reconnaissant le rôle adjuvant des micro-climats montagnards. Il s’agit de créer un village sanatorial pour “les tuberculeux pulmonaires curables de la classe moyenne peu aisée”, à l’image de ce que le Dr Trudeau a réalisé à Saranac Lake (État de New York) : deux bâtiments centraux et une trentaine de petits pavillons de quatre à douze lits.
Les atouts des hauts plateaux de Passy
Une altitude entre 1000 et 1350 mètres, au-dessus des brouillards; une orientation en plein midi et des températures qui ne sont jamais extrêmes ; un air sec ; une protection totale contre les vents dominants grâce aux falaises de la chaîne des Fiz ; des terrains étendus sur plus de cinq kilomètres, au coeur des forêts ; une alimentation abondante en eau potable ; un site isolé des habitations, néanmoins proche des communications ferroviaires 1 , un panorama grandiose, etc. Le choix du site aboutit en juin 1921, avec l’accord de la municipalité.
L’Association des Villages Sanatoriums de Haute Altitude (AVSHA) est fondée le 10 juillet 1922. Au Comité de patronage, Léon Bourgeois, auteur de la loi de 1916, le Dr Émile Roux, directeur de l’Institut Pasteur. Au Conseil d’administration, plusieurs membres du Comité national de défense contre la tuberculose (André Honnorat, auteur de la loi de 1919, les Professeurs Albert Calmette et Maurice Letulle, le Comte de Guébriant, le Baron de Fontenay, etc.). Une lutte de sept mois s’engage alors contre l’opposition des stations touristiques voisines et celle du Conseil général qui, paradoxalement, n’a toujours pas réglé le problème des tuberculeux savoyards.
Mais, le 7 décembre 1923, l’AVSHA est reconnue d’utilité publique, et la première pierre du sanatorium de Praz-Coutant est posée le 30 juin 1924. L’État participe pour moitié aux frais de ce premier établissement qui ouvre le 27 septembre 1926 avec cinquante lits. Trois autres établissements suivront : le Roc des Fiz (1932), Guébriant (1933) et Martel de Janville (1937), conçus en collaboration par les architectes Henry Jacques Le Même et Pol Abraham. L’architecture de ces sanatoriums est rapidement saluée par le milieu professionnel et marque la production architecturale du XXe siècle.
Parallèlement, le Dr Tobé inaugure la clinique d’Assy (1929) et le grand Sancellemoz (1931), deux “hôpitaux-sanatorium” dédiés au traitement chirurgical. Dans le même esprit, le Mont-Blanc (1929) ouvre sous l’égide de la Société climatérique de Passy. D’autres créations se succèdent pour atteindre plus de deux mille lits d’hospitalisation, répartis dans 23 établissements. Un village complet avec pensions de famille, hôtels, restaurants, commerces, maisons particulières, se bâtit autour des sanatoriums.
Les services se développent (école, cantine, mutuelle, bureau de poste, banques, etc.). Un Syndicat d’intérêt local est créé en 1934, auquel succède quelques mois plus tard un Syndicat d’initiative pour toute la commune. La vie culturelle, exceptionnelle, est ponctuée d’expositions, de conférences, de séances de cinéma, d’édition de journaux et de revues auxquelles participent des artistes ou des écrivains renommés.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la fondation de l‘église Notre-Dame-de-Toute-Grâce, l’église des malades. C’est dans le contexte suivant des reconversions sanatoriales, les traitements anti-tuberculeux étant devenus efficaces, que naîtra l’événement phare de 1973, Sculptures en montagne – Poème dans l’espace, pour que la station, balcon exceptionnel au pays du mont Blanc, soit désormais la synthèse de trois vocations : santé, art et tourisme.